L'accompagnement sur le long terme des patients victimes de lésions cérébrales est-il défaillant en France?

VAR-Matin  (Article écrit par Nancy CATTAN Mis à jour le 17/03/2019)

Si les soins aigus sont unanimement reconnus de qualité, les proches dénoncent des failles dans l’accompagnement sur le long terme : manque de professionnels ayant une réelle connaissance de la problématique, et aussi de services et/ou établissements adaptés.

Si les soins aigus sont unanimement reconnus de qualité, les proches dénoncent des failles dans l’accompagnement sur le long terme : manque de professionnels ayant une réelle connaissance de la problématique, et aussi de services et/ou établissements adaptés.

Ils sont des milliers, mais on ne les voit pas. Victimes de traumatismes ou de pathologies à l’origine de lésions cérébrales, ils ont été sauvés par la médecine. Mais que deviennent-ils ensuite ?

Président de l’Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et cérébrolésés (UNAFTC), Maître Emeric Guillermou (1) est venu dans les Alpes-Maritimes à la rencontre des familles et aidants de traumatisés crâniens et cérébro-lésés.

Qui sont les patients cérébrolésés ?

Il s’agit des personnes victimes de lésions cérébrales d’origine traumatique ou secondaires à une pathologie : accident vasculaire cérébral, rupture d’anévrisme, anoxie cérébrale, tumeurs…

Combien cela représente-t-il de personnes en France ?

Nous ne disposons hélas pas de chiffres officiels. Depuis 10 ans, l’association préconise une enquête épidémiologique. On sait simplement que l’incidence du traumatisme crânien est d’environ 200 cas pour 100.000 habitants par an. Le nombre de personnes concernées est donc estimé à environ 120.000 par an en France (dont environ 10.000 sévères). Si on associe les personnes présentant des lésions secondaires à une pathologie, le nombre total d’individus concernés est doublé. Les lésions cérébrales représentent la première cause de handicap acquis dans le monde.

Les situations sont évidemment variables d’une personne à l’autre. Mais existe-t-il des points communs entre toutes ces personnes ?

Elles ont en commun de présenter des troubles des fonctions cognitives plus ou moins associées à des problèmes de comportement. On décrit souvent des troubles de la relation sociale et une anosognosie [la personne n’a pas conscience de sa maladie, Ndlr] ; une personne qui présente des séquelles neurologiques à la suite d’un traumatisme crânien peut ainsi dire que tout va bien ! Ces personnes manifestent par ailleurs un apragmatisme [incapacité à entreprendre des actions, Ndlr], des troubles de la mémoire, de l’attention, de la concentration et de la planification ; le simple fait de prendre un transport en commun est impossible dans la mesure où cela oblige à anticiper. Et puis il y a parfois des désinhibitions qui vont se traduire par des comportements inadaptés, de l’agressivité… Tous ces déficits consécutifs aux séquelles du traumatisme ont un impact évidemment majeur sur la vie quotidienne et compromettent fortement la réinsertion sociale, familiale, scolaire et professionnelle. Ces personnes ont un besoin d’aide humaine important.

Quid des proches ?

Ces situations ont bien sûr un retentissement très fort sur la famille et les proches, qui doivent être accompagnés et soutenus.

"UN CERVEAU LÉSÉ A BESOIN D'ÊTRE STIMULÉ"

Ce qui n’est pas vraiment le cas aujourd’hui. Vous pointez le défaut de prise en charge en aval…

En France, nous sommes très performants en termes de soins : Samu, neuro-réanimation… Les difficultés se situent en aval, lorsqu’il s’agit de quitter l’hôpital pour une orientation en centre de rééducation. Le manque de place, la priorisation par rapport aux capacités présumées de récupération fait qu’un certain nombre de patients vont se retrouver orientés par défaut vers des structures totalement inadaptées. Et pour ceux qui arrivent à trouver une place dans un centre, se pose plus tard le problème du retour à domicile, pour lequel on n’est pas du tout performant. Souvent, le conjoint arrête de travailler pour aider, avec un risque élevé de naufrage économique, psychologique… Il faut des aides, lever des financements, c’est difficile… Les assurances devraient être forcées à apporter les aides. Dans la réalité, elles jouent souvent la montre.

Quand il n’y a pas de place dans un centre ou que le domicile n’est pas envisageable, il n’est pas rare que des patients cérébro-lésés se retrouvent dans des Ehpad...

Tout à fait. Très récemment encore, un homme de 57 ans cérébro-lésé a été orienté vers un Ehpad, où sa situation ne cesse de se dégrader. C’est prévisible, ce type d’établissement n’étant pas du tout qualifié pour recevoir des cérébro-lésés. La personne n’est pas stimulée, son état neurocognitif se dégrade. Et comme on ne sait pas gérer les troubles du comportement, pour obtenir la tranquillité, on instaure des traitements lourds.

Les familles sont nombreuses à dénoncer les effets néfastes de la camisole chimique ?

Un cerveau lésé a besoin d’être stimulé sur le plan cognitif ; grâce à la plasticité, on peut espérer réactiver les réseaux neuronaux. Traiter ces patients par de fortes doses de psychotropes (neuroleptiques, benzodiazépines…) - comme c’est souvent le cas - abolit les capacités du cerveau à être réceptif. Il faut éviter les traitements supérieurs à 3 mois, la Hauté autorité de santé a émis des recommandations claires sur ce sujet.

Que pourrait-on faire pour améliorer le sort de ces milliers de personnes et de leur famille ?

Plusieurs points doivent être améliorés. En commençant par une orientation plus pertinente, d’emblée. Nous avons aussi besoin de professionnels mieux formés et en nombre suffisant. Enfin, il est fondamental qu’existe une vraie coordination entre tous les acteurs.

Des projets concrets ?

Nous désirons créer un centre national de ressources qui permettrait de baliser le parcours des personnes victimes de lésions cérébrales acquises.

(1) Maître Guillermou est avocat inscrit au barreau de Toulon, il est spécialisé dans la défense des victimes de dommages corporels.